Enquête CB Expert : Recherche Trader Media désespérément…

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«Il y a 3 ans, le turn-over dans le trading media se situait autour de 36 mois. il est maintenant plus proche de 24, voire 18 mois». Ce constat que nous confie Kaoutar Benazzi, Chief Programmatic Officer de Havas Media Group, est largement partagé.

Aux dernières Rencontres de Ratecard, qui mettent en relation les adtechs/martechs avec les agences, annonceurs et éditeurs, tous les spécialistes du programmatique le reconnaissaient : il y a une pénurie des talents en ce moment, accentuée par les deux premières années de la pandémie mais aussi par la croissance continue de ce mode d’achat publicitaire.


En 2021, sur Internet, les achats programmatiques (inventaires vendus via une mise en relation automatisée entre acheteurs et vendeurs) ont bondi de +38% pour la publicité display, et jusqu’à +55% pour les formats vidéo, selon l’Observatoire e-pub du SRI. Désormais, la part des achats programmatiques représente 64% du display, hors réseaux sociaux. Si on intègre ces derniers, où les achats sont 100% automatisés, la part du programmatique grimpe à 81%.
«Le métier du programmatique est de plus en plus technique et c’est une grammaire qui est en train de se déverser sur l’ensemble des médias (audio, TV, affichage digital). Pour accompagner cette croissance, nous avons besoin de plus de talents» explique Kaoutar Benazzi. «Nous avons aussi du mal à recruter parce que beaucoup de traders privilégient leur bien-être, préfèrent travailler en free-lance, sous forme de mission, organiser leur temps de travail en s’accordant des temps de pause. C’est un métier complexe et un peu éreintant. Il y a une densité et une charge de travail importantes, un volume d’informations à absorber. Ces freelances peuvent répondre à des besoins ponctuels au sein de nos agences, quand on a une surcharge d’activité de manière saisonnière».

«Trader Media», quésaco ?

Tout d’abord, le terme de «trader media» est-il pertinent ? «Tout à fait, nous répond Fabrice Daune, Head of Media Trading chez Gamned!, société pionnière de la publicité programmatique, créée en 2009. Notre métier, c’est du trading pur avec des enchères sans cesse fluctuantes. Face à nous, des concurrents veulent acheter les mêmes inventaires que nous, et nous devons décider jusqu’où enchérir pour atteindre les performances attendues par nos clients. Chaque jour, nous prenons des millions de décisions. Les outils nous aident à automatiser les transactions mais il y a des prises de décision que seules un humain aujourd’hui est capable de faire». Le trader media doit connaître et comprendre parfaitement l’écosystème techno et média dans lequel il agit. Il doit cerner et utiliser au mieux les atouts des offres publicitaires, des data disponibles sur le marché et des plateformes sur lesquels il opère (DSP du côté de la demande, SSP du côté de l’offre). C’est pour un client annonceur qu’il achète des opportunités de contact publicitaire, et il doit pour cela bien maîtriser et monitorer les KPIs (Key Performance Indicators) que le client attend : visibilité pour développer la notoriété, gestion de trafic sur son site, conversion des prospects…
Là où ça se complique, c’est la diversité des modes d’achat programmatique. Il faut s’accrocher pour les comprendre et suivre leur évolution. Ce qui est vrai le lundi peut être faux le vendredi. Citons le «header bidding», l’«open auction» ou encore les «Deals ID» et ses déclinaisons: Private Auction, Preferred Deal, Guaranteed Deal. Pour comprendre un peu ce qui se cache derrière tous ces anglicismes, je vous renvoie au site de l’IAB France (www.iabfrance. com). «Le bon trader, c’est celui qui va trouver les inventaires de qualité au moindre prix en fonction des KPIs recherchés» résume Philippe Framezelle, directeur régie chez Adverline (Groupe La Poste) et rapporteur de la commission programmatique de l’IAB. «Il sait saisir les bonnes opportunités selon les types de deals. Avec son expérience, il connait et favorise les inventaires qui ont la meilleure visibilité, ceux qui cliquent ou transforment le mieux. Et il a l’expertise des coûts pratiqués selon les secteurs annonceurs (CPM ou coût pour mille)».

Quelles compétences pour le job ?

«Nous sommes de plus en plus exigeants sur les profils que nous recrutons, car le métier s’est nettement sophistiqué», explique la CPO de Havas Media Group. «Nous demandons une première expérience dans le milieu digital (agence, régie, annonceur…) et la volonté d’aller sur un métier opérationnel». Dans un recrutement, Kaoutar Benazzi s’attèle à «chercher une personnalité, un potentiel, quelqu’un d’agile, qui peut à la fois comprendre les contraintes opérationnelles et prendre de la hauteur sur les sujets, analyser l’écosystème dans lequel il est et réussir à se forger des parti-pris ». En termes de formation, le niveau Bac+4/+5 est incontournable et elle a une préférence pour les grandes écoles de communication et de marketing digital. Chez Ratecard, Bertrand Pichot dirige Adnovia une structure qui, entre autres, délègue des consultants chez ses clients pour des missions opérationnelles et longues (trading média, expertise programmatique…). «Je recrute plutôt des juniors que nous formons. Tout le monde se bat pour avoir les seniors, c’est hyper-concurrentiel, explique-t-il. Je cherche des gens très rigoureux, qui aiment la technique et qui ont déjà occupé un poste technique (création de sites, de newsletter…). Je sais ainsi qu’ils aimeront le métier et qu’ils seront synthétiques».
Chez Gamned!, Fabrice Daune met l’accent sur les qualités humaines et le partage: «Je cherche des personnes avec lesquelles j’ai envie de discuter toute la journée, qui ont envie de s’inscrire dans la durée, curieuses, qui ont soif d’apprendre, de transmettre, de travailler en équipe. Le groupe est plus important que l’individu.» Ce qui ne l’empêche pas de rechercher aussi quelqu’un qui a «l’esprit de compétition parce que le marché est assez difficile, mondial, qu’il faut toujours être à la pointe, et aussi l’esprit d’entreprendre pour apporter des idées que nous testons ensuite. Et bien sûr, il doit être plutôt à l’aise avec les chiffres.» Le directeur de Gamned!, qui a un partenariat avec Pôle Emploi pour recruter des personnes en reconversion professionnelle, ajoute: «Quand quelqu’un a envie d’apprendre, quel que soit son parcours, il apprendra. Il faut être humble aussi. Car le métier évolue en grande vitesse: il faut toujours remettre en question ce qu’on a appris. Je ne cherche pas des compétences spécifiques, mais plutôt un architecte. Le trader doit assimiler un maximum de connaissances pour pouvoir construire une campagne de la meilleure façon possible».

Une formation sur le tas et en couveuse

D’après Philippe Framezelle, il y aurait actuellement un peu moins de 400 traders media sur le marché français. Pour l’instant. Il apparait donc difficile d’imaginer de créer une formation spécifique pour ce métier en perpétuelle évolution. « Même s’il y a un tronc commun sur les connaissances digitales, c’est un métier que l’on apprend sur le tas, avec des formations qui peuvent à la fois être données par les équipes internes et par différents intervenants et partenaires technologiques» explique Kaoutar Benazzi, chez Havas. Même son de cloche chez Gamned! où l’on forme en interne les futurs traders: «La règle que nous nous fixons est que le trader que nous avons recruté en janvier sera opérationnel au bout d’un an. Nous avons actuellement sept traders en formation. Le nouvel arrivant fait deux mois de théorie pure, puis commence à toucher à un ou deux DSP. Il monte ensuite en charge sur des problématiques très simples. Il assiste d’abord un autre trader et est supervisé sur tout ce qu’il fait. L’année suivante, il arrivera à maturité et aura des comptes intéressants, multi-pays.» Gamned! a également créé en 2018 des modules de formation pour ces clients et partenaires à travers la «Programmatic Academy by Gamned!», grâce à laquelle plus de 400 personnes ont été formées aux enjeux du programmatique et au pilotage des campagnes. Chez Adnovia, Bertrand Pichot estime aussi à un an le temps de formation d’un junior: «Une année intensive, c’est le minimum avant qu’il puisse être envoyé en autonomie totale chez un client. Ce n’est pas très compliqué, mais il y a plein de cas particuliers. Il doit tous les avoir vus avant d’être autonome».

Talents, profils ou personnalités, la rétention est l’enjeu n°1

Plusieurs mois pour recruter, 12 à 18 mois pour former un junior en trader, qui devient rapidement senior et convoité… Tout l’enjeu est de le garder en poste le plus longtemps possible pour rentabiliser son investissement, ne pas alimenter la concurrence et ne pas avoir à recommencer trop vite ce processus de recrutement et de formation. Havas mise sur sa marque employeur et ses points de différenciation avec les concurrents pour recruter et retenir ses talents en CDI. «Les valeurs que l’on divulgue au sein de nos structures, le parcours d’intégration, notre stratégie vis-à-vis des profils alternants que l’on prend le temps de former pour les inscrire ensuite dans une réalité de carrière» sont autant d’éléments que met en avant Kaoutar Benazzi. «Nous intégrons les profils dans des projets, des initiatives. Nous leur donnons des sujets transverses à piloter pour leur permettre d’organiser leur évolution au sein du groupe Havas.» Fabrice Daune met lui en avant la qualité de l’expertise que ses équipes apportent aux nouveaux arrivants: «Si nous arrivons à bien les former, à développer leur intérêt pour ce métier, à assoiffer leurs curiosités, on remplit déjà une partie du contrat car ce sont des personnes qui ne s’ennuieront pas. Ensuite, nous avons un plan de carrière pour chacun. Quand ils arrivent, ils ont tout à apprendre. Demain ils seront la pierre angulaire du trading. Et ce sont eux qui formeront les nouveaux. Nous avons un vrai système de transmission.» L’expert de Gamned ! souligne la bonne ambiance dans ses équipes, qui permet de se parler librement et franchement, ainsi que les conditions salariales et de vie dans la société. Résultat, sur une base de 27 traders, il estime que le turn-over annuel tourne autour de 5%.

Si vous recherchez désespérément un métier passionnant (et plutôt bien payé) dans la publicité, que vous êtes curieux(euse), courageux(euse) et que vous n’avez pas peur des chiffres, ce job est pour vous !

 

Emmanuel Charonnat


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