Comment les athlètes choisissent leurs sponsors

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Une enquête de Bruno Fraioli, directeur de la rédaction de Sportbusiness.club, pour CB Expert

«La limite de ce que pourrait me demander un sponsor ? Sans doute de me mettre tout nu ! » Premier sportif préféré des Français, hors footballeurs, selon le baromètre annuel du Journal du Dimanche, Teddy Riner a une idée plutôt claire sur le cadre d’intervention de ses partenaires commerciaux. A l’époque, en 2015, la question posée par BFM Business l’avait surprise, et c’est avec un grand éclat de rire que le multiple champion olympique et du monde de judo s’en était sorti. A l’image du géant tricolore, les athlètes français ont pour la plupart bien intégré les «bienfaits» des sponsors. Teddy Riner, qui cumule plusieurs contrats, a même créé son école de marketing sportif et lancé sa propre marque d’équipements: Fight Art.

Autre bête du sponsoring, Jo-Wilfried Tsonga, désormais retraité des courts, reste toujours aussi actif avec les marques. L’ancien numéro Un français, demi-finaliste à Roland-Garros et finaliste à l’Open d’Australie, porte désormais l’image de BNP Paribas. Il a très longtemps été l’égérie du groupe Ferrero qui l’a mis en vedette de films pour Kinder Bueno. «Pour moi, un partenaire commercial doit me correspondre vraiment et véhiculer une image qui me représente vraiment» expliquait-il en 2018 alors qu’il était encore en activité. «Je privilégie les entreprises familiales proches de leurs employés et portées vers les autres, ajoutait-il. Avec Kinder, au fil des ans, notre association s’est modifiée pour aller vers des opérations qui donnent du sens».

Le partenariat entre le tennisman et la marque du groupe Ferrero a duré plus de 11 ans. Kinder a investi jusqu’à 20 millions d’euros annuels en achat d’espace pour diffuser ses films avec son ambassadeur en vedette. Autant dire que Jo-Wilfried Tsonga avait largement dépassé son statut d’athlète pour entrer dans tous les foyers. « Une telle exposition est un avantage pour l’entreprise, mais également pour moi, reconnaissait le joueur. En tant que sportif, j’ai profité de cette super exposition. Beaucoup de gens se renseignaient sur moi après m’avoir vu dans la publicité. Mais, en revanche, cela ne m’a pas apporté plus de partenaires ».

L’ancien champion avoue aussi que les partenariats peuvent être une bulle de respiration. Pour Hubside, Jo-Wilfried Tsonga a tourné des spots publicitaires humoristiques où il pratiquait l’auto-dérision. «Mais ça fait partie de notre rôle aussi, car cela montre que nous sommes également des humains», estimait-il. Toutefois, Jo-Wilfried Tsonga reconnait qu’il existe une limite quand une marque s’associe avec un sportif en compétition : le temps. «En fait, la principale contrainte pour une marque qui souhaite sponsoriser un joueur de tennis est de trouver du temps, relatait-il. Quand je suis en période de compétition, je n’ai pas beaucoup de temps, je suis avec mon baluchon entre les avions et les hôtels».

Cette observation est partagée par l’une des principales joueuses françaises en activité. Malgré son statut, ses résultats et son exposition, elle a choisi délibérément de limiter le nombre de ses partenaires. «La difficulté est de trouver des moments dans mon agenda car quand je fais quelque chose, j’essaie de le faire correctement, confiait l’intéressée avant l’édition 2023 de Roland-Garros. Je galère beaucoup pour cela, du coup, je préfère avoir peu de partenaires avec lesquels je peux mieux travailler». La tenniswoman avoue être très sensible à l’intérêt que la marque peut lui prêter. Dans le passé elle a notamment été surprise d’avoir été sollicitée par une société pour un événement qui se déroulait en plein tournoi de Wimbledon. Manifestement, les dirigeants n’avaient pas pris soin de regarder le calendrier des tournois.

Double champion du monde du décathlon et deux fois médaillé olympique en argent sur la discipline, Kevin Mayer est un des rares athlètes français à attirer les marques. A un an des Jeux de Paris, le tricolore est l’une des meilleures chances de réussite en 2024. Aujourd’hui, son portefeuille de partenaires personnels comprend Nike, Bridgestone, FDJ mais aussi Mont Blanc et Gillette. La marque de rasage du groupe P&G en a fait son ambassadeur et c’est l’athlète qui est mis en avant dans un film publicitaire multi-diffusé en télé.

Pour lui, ses partenaires sont d’abord là pour lui assurer un revenu, alors qu’il ne perçoit qu’un salaire «proche du Smic» par la Fédération française d’athlétisme, avait-il confié en décembre 2019. «Oui, il y a bien sûr un intérêt financier, confirmait-il. Il faut qu’un athlète gagne sa vie, puisse s’entrainer tranquillement et assure sa reconversion. Cela apporte de la stabilité». Et une certaine sérénité. Pour autant, Kevin Mayer et son équipe, notamment son frère qui s’occupe de ses intérêts, ne compte pas dire oui à tout.

«J’ai déjà beaucoup dit non, avouait le champion. En fait, j’estime que plus j’aurais de partenaires moins il y aura de prestige à s’associer à moi». Kevin Mayer reste ainsi sur le principe que ce qui est rare peut être plus cher. Toutefois, il considère aussi, à l’instar des autres sportifs, qu’il doit aussi préserver les intérêts de ses sponsors : «Je veux leur laisser une marge de communication, expliquait-il. Car, au-delà de l’aspect financier du contrat, j’aime bien qu’il y ait une certaine réciprocité entre le partenaire et l’athlète. L’association entre un sportif et une marque doit être aussi bonne pour l’image du partenaire que pour celle du sportif. Je ne choisis que des marques qui reflète ma personnalité». Kevin Mayer, qui a développé son propre logo, un “K” et un “M” dont le design symbolise un stade, estime que le prestige d’un partenariat peut aussi s’exprimer dans la durée d’un contrat: le champion est ainsi très fier de l’accord de huit ans signé avec Nike, une durée longue relativement rare dans ce type de partenariat sportif. Quant aux activations possibles, là encore tout est une question d’agenda pour un athlète qui, durant les 12 mois de l’année, est soit en compétition à l’autre bout du monde, soit en préparation à Montpellier. «J’ai des idées assez fixes sur beaucoup de choses, avouait-il. Il faut que l’opération soit en accord avec mes pensées et ma conscience, mais je ne dis pas systématiquement non».

Le choix des partenaires est aussi un élément important pour Alexis Pinturault. Sacré champion du monde du combiné chez lui, en février 2023, lors des Championnats du monde de ski alpin à Courchevel-Méribel, le skieur profite de la fin de saison pour… se consacrer à ses sponsors. «En fait, les skis ne sont pas totalement raccrochés quand on a terminé les compétitions, car on doit des journées à nos sponsors» indiquait en mars dernier le descendeur associé, notamment, à Red Bull, et l’horloger Richard Mille.

Le Savoyard a, à l’instar de Kevin Mayer, développé aussi son propre logo, comme une marque : « En fait, tout sportif qui commence à être connu devient une marque, estime le champion. Ce logo sert à la communication de mes partenaires : il permet de créer des objets de merchandising ». Ces ressources sont les seules pour les skieurs qui ne bénéficient pas d’autres revenus exceptées les primes de résultats de courses : 40 000 à 45 000 francs suisses pour une victoire, taxés à 20 ou 30% selon les pays. Alexis Pinturault, entouré de sa famille, fait également le tri dans les marques avec lesquelles il peut associer son image. «Quand on figure parmi les meilleurs, on a la chance d’être assez démarché, confiait-il. Mais le contact peut aussi être plus informel». Dans tous les cas, pour lui, pas question d’aller avec n’importe qui : «Je trouve que, par rapport à ce qu’un sportif ou le monde du sport peut représenter, cela me dérangerait d’être associé à certains secteurs d’activité comme, par exemple, une enseigne de fast-food, indiquait- il. Selon moi, ce n’est pas en adéquation avec le milieu du sport».

Le droit à l’image collective

Le skieur a peut-être échangé sur le sujet avec Kylian Mbappé. Le footballeur du Paris Saint-Germain a, lors d’un rassemblement des Bleus en 2022, refusé de participer à une séance photo avec certains partenaires officiels. L’enseigne de restauration rapide KFC était dans le viseur de l’attaquant de l’équipe de France pour une question d’image… et sans doute aussi d’obligation contractuelle personnelle. Kylian Mbappé donne un coup de pied au «droit à l’image collective» qui régit les partenariats des sports collectifs. «J’ai juste une carrière et j’ai envie de la gérer comme je l’entends, comme cela me correspond, avec les valeurs que je veux prôner», déclarait Kylian Mbappé en mai 2022. Un souci qui devrait être résolu prochainement.

Bruno Fraioli, directeur de la rédaction de Sportbusiness.club


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