«Nous sommes à un point de basculement», une interview de Mathieu Morgensztern (GroupM)

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Malgré un environnement peu propice à la consommation, les prévisions pub 2024 sont relativement bonnes, boostées notamment par les événements sportifs à venir. Le point avec Mathieu Morgensztern, CEO de GroupM France & Country Manager WPP en France.

CB Expert : Comment se porte le marché publicitaire en 2023?

Mathieu Morgensztern : Nous sommes toujours en phase de reprise post-covid. Le marché a du mal à se remettre en ligne avec 2019, la crise sur le pouvoir d’achat ayant généré une inflexion de la reprise. Nous espérions une meilleure croissance cette année, au-delà de +4%. Elle sera en dessous. Les quelques points manquants suffisent pour pénaliser tout le secteur et perturber le marché.

CB Expert : Si la croissance est plus faible que prévu, est-ce entièrement imputable à l’inflation et ses effets sur la consommation?

Mathieu Morgensztern : Il y a aussi un climat d’incertitude. Dès qu’il y a des mouvements sociaux, des grèves, les annonceurs ont tendance à lever le pied, parce qu’ils considèrent que ce sont des moments moins propices à la consommation. Surtout quand ils se combinent avec l’inflation.

CB Expert : Les coûts des médias ont-ils explosé eux-aussi ? Avec quel impact pour les annonceurs?

Mathieu Morgensztern : L’inflation des médias est surtout due à l’évolution de leur coût de fonctionnement, mais on ne peut pas dire qu’elle a «explosé» car les agences médias ont fait leur travail pour préserver les intérêts des annonceurs. Parallèlement, beaucoup d’entre eux ont diminué leurs investissements médias pour préserver leur marge, face à la baisse des volumes de ventes liée à l’inflation des prix. L’effet de ces deux tendances entraîne des conditions moins avantageuses pour les marques.

CB Expert : Jusqu’où les annonceurs peuvent-ils réduire les investissements de communication?

Mathieu Morgensztern : Je pense que nous avons atteint la limite. Le volume des ventes est lié aux prix mais aussi à la capacité de générer de l’intérêt pour les produits. Un minimum d’investissements médias est nécessaire si on veut qu’il y ait des ventes. C’est pour cela que ça repart. Nous sommes à un point de basculement. Les marques vont réinvestir en médias pour regénérer du volume. Ce qui leur permettra aussi d’avoir des meilleures conditions d’achat média.

CB Expert : GroupM accompagne la 9e édition du Food Morning ce 10 octobre. Comment se situent les investissements publicitaires du secteur alimentaire?

Mathieu Morgensztern : C’est un secteur particulièrement touché par l’inflation. Les volumes de ventes baissant, les marques ont essayé de préserver leur marge en réduisant leur budget de communication. Elles ont aussi augmenté leur prix, ce qui n’a pas favorisé les volumes. Cependant, du point de vue des consommateurs, même s’il y a des renoncements, l’alimentation reste un sujet central. Ce n’est pas un sujet fonctionnel. Les gens l’abordent avec une dimension de plaisir extrêmement forte. Ils considèrent que l’alimentation est un de leurs leviers de pouvoir.

CB Expert : C’est d’ailleurs la thématique de la conférence : “ Les super pouvoirs de la Food ”. En quoi résonne-t-elle avec l’actualité?

Mathieu Morgensztern : Il y a trois dimensions de pouvoirs. C’est d’abord un levier pour exercer du pouvoir sur sa propre vie. En mangeant bien, en achetant des produits, en cuisinant, je peux me faire plaisir. Contrairement à beaucoup de choses subies actuellement, je suis en maîtrise.
C’est aussi un élément de pouvoir sur l’extérieur. En consommant d’une certaine manière, j’ai un pouvoir sur la planète. Et c’est également un pouvoir sociétal, je peux réduire les inégalités, en consommant équitable, en tenant compte des conditions des producteurs en France ou à l’autre bout du monde. Il y a encore quelques années, peu de gens avaient conscience de ces trois éléments de pouvoir combinés. Ces dernières années, avec le Covid, avec l’intérêt porté sur l’environnement, une très grande partie des consommateurs se posent ces questions-là. Les marques qui n’auront pas compris cela et qui, dans leur façon de parler de leurs produits, ne démontreront pas qu’elles donnent du pouvoir aux gens, seront délaissées.

CB Expert : Comment voyez-vous le marché pub en 2024?

Mathieu Morgensztern : On peut espérer que les phénomènes sociaux vécus cette année ne se reproduiront pas l’an prochain. Il y aura un enthousiasme, un engagement autour des JO et probablement autour de l’Euro, qui gommeront peut-être ou atténueront la crise sociale. Un meilleur contrôle de l’inflation et une croissance économique un peu plus marquée sont attendus. Les investissements médias sont en général le reflet de l’économie. Il y a une forte corrélation. Nous estimons la croissance du marché pub média à +9,7% soit 2,4 milliards d’euros supplémentaires.

CB Expert : Les annonceurs peu concernés par l’univers du sport pourront-ils émerger l’an prochain? Doivent-ils éviter la période olympique et les semaines qui la précéderont?

Mathieu Morgensztern : Bien au contraire. L’objectif de l’annonceur est de rencontrer son audience. Quand on a des moments de très forte consommation des médias, c’est l’opportunité d’avoir un impact important, que l’on soit sponsor ou pas des JO. En particulier, pour les « gros » annonceurs qui doivent toucher massivement les consommateurs. Ces grands rendez-vous ont une énorme valeur pour eux.

CB Expert : Ne reste-t-il que le sport pour «sauver» la TV linéaire ?

Mathieu Morgensztern : Non, le divertissement a les mêmes vertus que le sport pour créer des écrans puissants, notamment sur le Prime de TF1. C’est pour cela qu’il se vend bien. L’effet sur les ventes est directement visible.

CB Expert : Quels seront les médias en forme l’an prochain et ceux qui surperformeront?

Mathieu Morgensztern : Grâce aux événements sportifs, nous prévoyons que la TV et la publicité extérieure seront en croissance de +4% et +3,6%. L’audio digital et le retail media poursuivront leurs croissances spectaculaires. Pour le premier, nous avons d’ailleurs créé cette année l’entité AudioM qui réalise le médiaplanning audio et produit des podcasts de marque. Concernant le retail media, les modèles prédictifs d’intelligence artificielle nous permettent d’investir de manière plus éclairée pour générer du chiffre d’affaires. Nous estimons que sa part de marché aura doublé entre 2019 et 2024, passant de 4% à 8,2%.

CB Expert : Et quel sera le poids global du digital dans le marché pub média français?

Mathieu Morgensztern : En incluant le Search et les extensions digitales des médias traditionnels, nous l’estimons à 74,1 % en 2023 et à 76 % en 2024 contre 61 % en 2019. Le marché devient ultra-dominé par le digital. Cela se voit bien dans les stratégies médias de nos clients. A titre de comparaison, le poids de la TV linéaire (hors extensions digitales) passerait de 18,2 % en 2019 à 12,3 % en 2024. Le monde des médias s’est très fortement transformé depuis le Covid.

Propos recueillis par Emmanuel Charonnat


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