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Les enquêtes en ligne sur le numérique ont-elles un sens ?

Edito CB Expert – Les enquêtes online sur les usages et attitudes numériques foisonnent, se disant représentatives des Français. Vraiment ?

Régulièrement – je dirais même assez souvent – des études sur les Français et le numérique sont publiées, réalisées par des instituts d’études pour diverses organismes, sociétés ou médias.
Elles sont presque toutes réalisées en ligne, auprès d’internautes donc, et se veulent représentatives des Français. Mais que valent-elles ?
Voici quelques exemples:
. étude Ifop pour Simplon.co (1er avril 2022): «Les difficultés des Français face au numérique [1]» (nous reviendrons plus loin sur cette étude),
. étude Odoxa pour Salesforce et BFM Business: «Les Français et les métiers du numérique [2]» (mars 2022): (lire notre article [3]),
. étude BVA pour la Journée de la Femme Digitale (février 2022): «Les Français et le numérique [4]» (lire notre article [5])
. étude Odoxa pour CGI (juin 2021) : «Enquête sur l’inclusion numérique : Rapport des Français à Internet & accès aux métiers du numérique [6]» (lire notre article [7])

Toutes ces études se disent représentatives des Français âgés de 18 ans et plus, la représentativité de l’échantillon étant assurée grâce à la méthode des quotas. Il s’agit généralement de quotas par sexe, par classe d’âge, par catégorie socio-professionnelle, par région et/ou catégorie d’agglomération.
Je ne doute pas que l’échantillon soit représentatif, je fais confiance aux spécialistes des sondages pour cela. Mais quel sens y a-t-il à interroger sur internet un échantillon d’internautes sur sa capacité à maîtriser Internet, à bien connaître les outils numériques, à identifier leurs besoins en formations digitales, leur envie de travailler dans le numérique, etc…

C’est un peu comme si on interrogeait un échantillon de lecteurs réguliers de livres et de journaux, sur leur niveau d’alphabétisation, leur connaissance de la langue française et leur envie de devenir libraire ou écrivain. Les résultats de l’étude seraient peut-être fiables mais ne seraient en aucun cas représentatifs de l’ensemble de la population française. Ils représenteraient les lecteurs réguliers de livres et de journaux, mais pas les lecteurs occasionnels, ni les non lecteurs ni les illettrés.

Une étude en ligne sur les usages et attitudes vis-à-vis du numérique, ne peut pas représenter les Français. Elle peut au mieux représenter les internautes qui ne rencontrent pas de difficulté à répondre à un questionnaire en ligne. Et il y a de fortes chances qu’une grande partie des répondants n’en soient pas à leur premier questionnaire en ligne.
Récemment, un couple d’amis  me disait qu’ils ne connaissaient personne dans leur entourage qui avait répondu à un sondage. Une réflexion peut-être exagérée mais qui reflète bien l’idée, répandue, que ce sont toujours les mêmes personnes qui répondent aux sondages. Si c’est vrai, ce ne serait pas très gênant dans le cas de sondages électoraux ou d’enquêtes marketing sur les produits food. Mais cela devient embêtant dans le cas d’un sondage sur les usages numériques (ou pire, un sondage sur les sondages! [8]). Car, quel est l’intérêt de demander s’il est complexe d’utiliser des outils numériques à un groupe de personnes qui a l’habitude d’utiliser des outils numériques pour répondre à des sondages?
On ne demande pas aux gens qui sortent du cinéma s’ils sont allés au cinéma. Demande-t-on aux répondants des enquêtes en ligne s’ils savent utiliser Internet?

Dans ce sondage réalisé fin février et publié le 1er avril (sans poisson apparent), l’Ifop a posé cette question aux sondés:

[9]

Ainsi, 20% des répondants ont tout de même dit que «savoir utiliser les outils numériques» est «compliqué» (parmi 3 réponses possibles sur 6 adjectifs proposés) et 14% que c’est «stressant». Mais si l’on avait aussi interrogé des personnes non internautes ainsi que des internautes qui ne répondent jamais (ou rarement) aux questionnaires en ligne, je parie que ces taux seraient supérieurs, voire nettement supérieurs.
Et je ne rentre pas dans le débat de ce que l’on veut dire par «savoir utiliser les outils numériques» (est-ce faire un email ? faire une démarche administrative en ligne ? utiliser les réseaux sociaux ? téléphoner sur WhatsApp ?). Disons que c’est au répondant d’interpréter la question…

Un peu plus loin dans le questionnaire (cf graphique ci-dessous), l’Ifop demande à ses sondés «En ce qui concerne vos compétences numériques, avez-vous le sentiment (de vous débrouiller, de rencontrer des difficultés… ?». 74% ne rencontrent pas de difficultés, puisque 62% se débrouillent correctement et 12% se situent même au dessus de la norme. Seuls 22% rencontrent quelques difficultés et 4% ne s’en sortent pas! Ben, ça fait quand même 4% de gens qui sont nuls en numérique mais qui ont réussi a répondre jusqu’au bout au questionnaire en ligne.
Et vous, vous croyez vraiment qu’il n’y a que 4% de gens en France qui se sentent nuls en numérique?

[10]

Cela me donne envie d’aller m’installer à une sortie de métro/RER/gare et de demander à une centaine, voire plusieurs centaines de personnes, s’ils ont déjà répondu à des sondages, s’ils se sentent nuls en numérique…

Je ne dis pas que toutes les questions posées et les réponses obtenues dans ces enquêtes sont inintéressantes. Je ne dis pas que des tendances observées sur plusieurs vagues ou des comparaisons entre des populations n’ont pas d’intérêt. Je dis simplement qu’il est abusif dans ces enquêtes sur le numérique de parler de «représentation de la population nationale». Interroger les gens en face à face ou par téléphone serait plus judicieux. Ou alors cibler des catégories de population en adaptant les méthodes de recueil.

Rappelons que dans la dernière édition du Baromètre du Numérique [11] (2021), on dénombrait 92% d’internautes  (personnes se connectant à internet) en France parmi les 12 ans et plus, ce taux tombant à 71% chez les 70 ans et plus. Ce baromètre qui utilisait habituellement le recueil en face-à-face est passé, du fait de la pandémie, au mode téléphonique pour recueillir cette information.

Je dis qu’il faut interpréter les résultats de ces études avec une grande prudence et que certaines questions sont inutiles.

Emmanuel Charonnat [12]

 

 

 

 

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Lire aussi :

. Nos éditos hebdomadaires [14]

. Tous nos articles sur le Numérique [15]

Mise en abîme : un sondage sur les sondages, peuchère !

Publié Par Emmanuel Charonnat Sur Dans Marketing,Médias | Pas de commentaire

Edito CB Expert – S’il y a trop de sondages, c’est la faute des médias, qui savent bien les interpréter mais qui leur font dire n’importe quoi. Vraiment ?

Un sondage sur les sondages, je ne pouvais pas rater ça.
C’est OpinionWay qui a fait le coup. Et ce n’est pas la première fois. Déjà il y a 5 ans [16]
D’abord, l’institut d’études a demandé aux sondés s’ils ont une bonne ou une mauvaise opinion des instituts de sondages. Et 34% des répondants n’ont pas craint de répondre, à OpinionWay, qu’ils ont une mauvaise opinion des instituts de sondages.
Ou, si vous préférez, 65% ont gentiment répondu à OpinionWay qu’ils ont une bonne opinion des instituts de sondages (cf présentation des résultats, page 7 [17]). Rappelons que les personnes sondées ne sont pas bénévoles. La méthodologie de l’étude précise (en page 3 [17]) que «pour les remercier de leur participation, les panélistes ont touché des incentives ou fait un don à l’association proposée de leur choix». 34% ont donc osé exprimé une mauvaise opinion des instituts de sondages, tout en recevant un incentive (ou un don pour une association) pour répondre à ce sondage. La soupe est meilleure quand on crache dedans.
Question suivante : lisez-vous les sondages diffusés dans les médias concernant l’élection présidentielle? 47% régulièrement ou souvent, 52% rarement ou jamais.
Le sondage sur les sondages leur demande ensuite s’il y a trop de sondages dans les médias (sans préciser si on parle des sondages électoraux, mais cette question arrive après la précédente). 47% s’empressent de dire qu’ils sont trop nombreux, vs 12% qui trouvent qu’ils ne sont pas assez nombreux et 44% qu’ils sont en nombre suffisant.
Et pourquoi ne pas carrément demander s’il y a trop de médias en France (s’il y avait moins de médias, il y aurait moins de sondages) ou trop d’instituts d’études (s’il y avait moins de sondeurs, il y aurait moins de sondages). Pas certain que la réponse serait la même… Peut-être même que les gens aimeraient avoir encore plus de médias pour avoir plus de choix, au risque d’avoir plus de sondages…
Plus loin dans le questionnaire, on leur demande si les médias utilisent les sondages pour manipuler les électeurs. Bien sûr que oui, disent 68%. Et les médias utilisent-ils les sondages pour soutenir leur candidat? Bien sûr ! Disent 72%.
Tous pourris, les médias! Pas objectifs les médias!

Une majorité des sondés (58%) estime aussi que les médias savent lire et interpréter les résultats des sondages et, en même temps, une plus grande majorité (68%) déclare que les médias font dire n’importe quoi aux chiffres issus des sondages.
OpinionWay va se faire des copains dans les médias !
Pourtant, chaque semaine, l’institut d’études publie un sondage électoral pour CNews [18] et un autre pour Les Echos et Radio Classique [19], ces deux sondages étant publiés sur des bases d’enquêtes quotidiennes et donnant des résultats très proches. On peut alors se demander quel est l’intérêt de réaliser deux sondages simultanément, l’un sur 1000 personnes inscrites sur les listes électorales, l’autre sur 1500.
Il serait plus judicieux, statistiquement, de les agréger, si les deux échantillons sont disjoints. Ce serait plus utile pour les citoyens. Et cela agacerait moins ceux qui trouvent qu’il y a trop de sondages dans les médias. Mais ce ne serait ni l’intérêt de l’institut d’études ni celui des médias. Ces médias manipulateurs, menteurs et partisans.

Plus sérieusement, quel est l’intérêt de mettre tous les médias dans le même sac ? Est-ce pour les décrédibiliser, les dénigrer, les dénaturer ?
Personnellement, je ne saurai pas répondre aux questions si générales de ce sondage sur les sondages. Car ma réponse dépendrait du média. Et des médiateurs qui s’expriment sur ces sondages: le présentateur TV ou radio, le journaliste, le chroniqueur, l’expert consultant, le représentant de la société de sondages…
Par exemple, si mon principal moyen de m’informer est l’émission TV «C dans l’air» sur France 5, je répondrais sans hésiter que les médias ne font pas dire n’importe quoi aux chiffres issus des sondages.
Mais, si je consomme une brochette de médias très variée (JT, chaînes d’infos, stations de radio, presse quotidienne et magazines), quelle réponse pourrais-je donner? Que les médias font du gloubiboulga de sondages?
C’est comme demander aux gens s’ils ont confiance dans les médias, dans les réseaux sociaux, dans les journalistes, dans les politiques, dans les entreprises… On met tout le monde dans des grands sacs, et on compare pour amuser la galerie.
Quitte à faire un sondage sur les sondages, je suggère quelques questions qui pourraient rendre les sondés moins chèvres, les médias plus pertinents et le public moins abruti:
. Pensez-vous que sondages électoraux sont bénéfiques à la démocratie en France ?
. Dans quels pays pensez-vous que les sondages électoraux sont les plus fiables ? En France, en Russie ou en Chine ?
. Dans quels pays pensez-vous que les sondages électoraux sont trop nombreux ? En France, en Russie ou en Chine ?
. On pourrait ensuite reposer la première question aux sondés, pour voir s’ils confirment leur réponse…
. Pensez-vous que «tous les médias, la majorité des médias, quelques médias, aucun média» manipulent les sondages électoraux?
. Parmi les médias que vous fréquentez, quels sont les médias qui manipulent les sondages électoraux?
Une dernière question : ce sondage sur les sondages a-t-il ensuite été repris par les médias? Qui s’est tiré une balle dans le pied, pour amuser la galerie, satisfaire le chaland?

Emmanuel Charonnat [12]

bandeau-cb-expert-fonce [13]


Lire aussi :

. Nos éditos hebdomadaires [14]

. Quels acteurs de la société écoute-t-on le plus pour se forger une opinion sur un sujet? [20] (mars 2022)

Confiance dans les professions : comment la France se distingue-t-elle des autres pays? [21] (novembre 2021)

Avec l’aide de qui les Français se forgent-ils une opinion sur un sujet ? [22] (août 2021)

Traitement de l’information : les jeunes sont moins sévères que les seniors [23] (juin 2021)

La défiance à l’égard de la parole des scientifiques se généralise à de nombreux domaines [24] (décembre 2020)

Propagation des fake news: les citoyens se défaussent sur les journalistes et les institutions [25] (février 2020)

De quoi dépend la crédibilité d’une étude scientifique? [26] (décembre 2019)

Quels sont les bons vecteurs pour communiquer sur une étude scientifique? [27] (juillet 2019)

. Sondages : l’impact de l’écriture inclusive sur la présence à l’esprit [28] (novembre 2017)

. Elections : les Français pensent que les médias font dire n’importe quoi aux chiffres des sondages [16] (mars 2017)


Accès à l’étude OpinionWay sur les Français et les sondages [17]

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