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Le prénom, un indicateur de l’origine sociale ?

Louise a 4 fois plus de chances d’avoir une mention très bien que Mélissa…
Dis moi ton prénom et je te dirai si tu as une chance d’avoir une mention au Bac !

« Antonin, Éléonore, Adèle, Diane, Augustin et Théophile ne sont pas dans les mêmes lycées, dans les mêmes séries, dans les mêmes filières que Bryan, Kelly, Anissa, Mehdi et Sofiane… parce qu’ils n’ont pas les mêmes parents. Et c’est parce que nommer, c’est classer, écrivait Claude Lévi-Strauss, on ne nomme jamais, « on classe l’autre » si on lui donne un prénom en fonction des caractéristiques qu’il a (son genre, sa classe d’âge) ou qu’on voudrait qu’il ait, « on se classe soi-même » si on pense nommer « librement, c’est à dire en fonction des caractères qu’on a » [Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage]. Le prénom est certes un choix individuel (ou plutôt conjugal) à destination d’un individu. Mais d’emblée, parce que les chrétiens évitent les prénoms que les musulmans donnent à leurs enfants, parce que les enseignants évitent les prénoms que les ouvriers donnent (et vice versa), parce que certains groupes privilégient les prénoms « qui ont fait leurs preuves » et que d’autres ont des incitations fortes à choisir des prénoms rares… pour toutes ces raisons le prénom est un indicateur (faible et flou, certes) d’origine sociale. » écrit Baptiste Coulmont sur le site de l’Ined.

Ce dernier a réalisé, à partir des résultats du Bac 2017, le mapping ci-dessous qui fait apparaître les prénoms des candidats en fonction de deux critères :
. axe vertical : le nombre de candidats portant le prénom,
. axe horizontal : la proportion de ces candidats ayant obtenu une mention «très bien » au bac.

[1]

Parmi les prénoms les plus fréquents (avec plus de 1000 candidats), ceux qui sont le plus portés par des bacheliers à mention sont tous féminins : Louise, Juliette, Alice, Jeanne, Claire, Agathe, Elise, Clémence ou encore Emma. Le premier prénom masculin à se distinguer est Paul, au même niveau que Marie, Mathilde et Clara. Porté par un peu moins de 1000 candidats, le prénom Martin se distingue aussi.
Parmi les prénoms les plus rares, ce sont encore des prénoms féminins qui se distinguent : Diane d’abord (qui détient le record de mentions au bac) puis Adèle et le prénom épicène Alix.
Les prénoms de garçons Théophile et Joseph sont très bien placés dans l’obtention de mention mais très peu portés.
A l’opposé, il est plus rare d’avoir une mention quand on s’appelle Kevin, Dylan, Jordan, Mohamed, Mehdi, ou encore Cindy, Tony ou Ryan.

Voici le reste de l’analyse de Baptiste Coulmont :

« Le bac, d’épreuve bourgeoise au début du XXe siècle, est devenu un véritable rite de passage national, qui concerne plus des trois quart d’une génération. Pour chaque candidat, il y a un avant et un après. Mais ce n’est pas un rite égalitaire. Les différentes filières (générales, technologiques et professionnelles) se composent de proportions inégales d’enfants de cadres et d’enfants d’ouvriers. Les différentes séries « S » pour scientifique, « L » pour littéraire, « STI2D » pour sciences et technologies de l’industrie et du développement durable, « STMG » pour « sciences et technologies du management et de la gestion », etc. contiennent des proportions variées de garçons, de filles, d’élèves en avance ou d’élèves ayant redoublé. Et les résultats redoubleront ces inégalités, en classant les candidats individuellement par mérite, selon leurs notes et leur mention. Ainsi le bac unifie une classe d’âge, mais il la différencie à l’extrême : filière, série, lycée, notes, options, mention… distinguent chaque candidat de chaque autre et classent les candidats entre eux. Les résultats ne sont pas présentés de manière agrégée « la classe de terminale S 1 a son bac » mais de manière individuelle « Justine Dupont, série S, bac général, académie de Versailles, Lycée Hoche, mention Très bien ».
Il est possible, à partir de ces résultats individuels, de rendre visibles des différences : entre lycées, entre académies, entre séries le taux d’accès à la mention Très bien ou le taux d’échec varie. On peut aussi le faire à partir du prénom. Ainsi, entre 2012 et 2015, 17% des Louise candidates au bac (et ayant autorisé la diffusion de leurs résultats) ont obtenu la mention « Très bien ». Au même moment, seules 4% des Mélissa ont obtenu la mention « Très bien ». Ces différences entre prénoms sont stables d’une année sur l’autre, alors même que la proportion d’élèves obtenant la mention augmente d’année en année : les Clémence tournent autour de 11 à 15%, les Jérémy entre 3 et 6%. Ces différences ne doivent rien, a priori, au prénom lui-même : si toutes les Juliette s’étaient prénommées Myrtille, Prune ou Banane, elles auraient eu les mêmes résultats. Oui mais voilà : les parents ne choisissent pas les prénoms au hasard, et la réussite scolaire est en partie liée à l’origine sociale. Des cadres parisiens n’auront pas les mêmes goûts que des employés bretons. Des ouvriers marseillais ne choisiront pas les mêmes prénoms que des intermittents du spectacle, marseillais eux aussi. »

Baptiste Coulmont [2] est Maître de conférences à l’université Paris 8, Vincennes-Saint-Denis, et dirige des recherches à l’INED.

 

Emmanuel Charonnat


Ce qu’il faut retenir

. des proportions de mention très bien au Bac qui varient entre 2% et 25% selon les prénoms

. les prénoms féminins l’emportent nettement sur les prénoms masculins

. les différences entre prénoms sont stables d’une année sur l’autre, alors même que la proportion d’élèves obtenant la mention augmente d’année en année

. les parents ne choisissent pas les prénoms au hasard, et la réussite scolaire est en partie liée à l’origine sociale


Lire aussi :

La saisonnalité des mariages est de plus en plus marquée en France [3]  (Ined, avril 2017)

Pourquoi la natalité baisse-t-elle en France ? [4]  (Ined, mars 2017)

Une approche de la vérité sur la fréquentation des sites de rencontre [5]  (Ined, février 2016)


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Accès au site de Baptiste Coulmont [7]