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Les TV Upfronts : culte du « contenu roi » ou relique du passé ?

La chronique « En direct des US », par Vincent Létang, Magna Global (IPG Mediabrands)

Photo Vincent Letang avec logos-min

 

Nous consacrons deux chroniques aux TV Upfronts qui ont commencé cette semaine à New York. La première revient sur le business model des Upfronts et leur place dans l’industrie des médias et de la publicité. La seconde chronique, dans quelques jours, détaillera les nouveaux shows annoncés pour Octobre 2016 et les tendances de programmation qu’ils révèlent.

 

 

Cette semaine marque le début des « Television Upfronts ». C’est le grand rendez-vous annuel de la publicité et des médias, ici à New York. Les acheteurs médias et leurs clients sont invités par les broadcasters à la présentation des nouveaux programmes de la « Broadcast Season » 2016-2017 qui débutera en Octobre 2016. Ces présentations sont de véritables shows à l’américaine dans des endroits prestigieux tel que le Radio City Hall, avec orchestre, présence des acteurs et (interminables) séries de bandes-annonces plus ou moins prometteuses et remise de DVD des « pilotes » des nouvelles séries. Cette année, ce sont NBC et Fox qui ont ouvert le bal dès le lundi 16 mai.

Ces présentations donnent le coup d’envoi de la « Upfront Season » où chaque agence média (Mediabrands-MAGNA, Starcom-Mediavest, GroupM etc.) négocie avec chaque network un accord pour la saison à venir. Typiquement, l’agence s’engage, pour chacun de ses clients, sur un volume d’achat. De son côté le vendeur s’engage sur un taux de croissance du CPM et autres conditions particulières (accès garanti à certaines soirées ou à certains shows, parrainage, placement de produit). L’acheteur ne peut annuler les engagements sur le premier trimestre de la saison (Octobre-Décembre : la période la plus demandée) mais conserve la possibilité de réduire de 25% à 50% ses engagements sur les trois trimestres suivants. Depuis plusieurs années les impressions en direct ou en différé (DVR ou VOD sur internet) dans les trois jours (parfois sept jours) ne sont plus différenciées dans le package négocié entre diffuseurs et agences, sachant que les impressions VOD représentent une part de plus en plus considérable de l’audience totale de certain shows.

Fondamentalement les upfronts sont faits pour apporter aux acheteurs et annonceurs de la visibilité sur les coûts et un accès garanti à certains programmes (exemple : football américain), et donnent aux vendeurs/diffuseurs de la visibilité sur leurs revenus. Un autre avantage pour les deux parties réside dans les économies d’échelle réalisées sur les coûts de transaction, en concentrant la négociation tarifaire sur une période limitée. Un aspect relativement nouveau de ces négociations concerne les données d’audience avancée (au-delà de l’âge, genre et CSP) produites par les régies et mises à la disposition des agences pour un ciblage plus sophistiqué, pouvant s’appuyer sur les bases de données consommateurs générées ou acquises par les annonceurs.

L’alternative à l’achat upfront, c’est le marché « scatter » (achat de court terme). L’achat scatter n’offre aucune garantie de disponibilité et aucune garantie de CPM. Historiquement le coût du CPM de l’achat scatter est en moyenne 10% au-dessus du coût upfront, mais ces deux dernières années le différentiel, appelé « premium», était faible (autour de 5%) ce qui limitait le risque du marché scatter et n’encourageait pas l’achat upfront ; les volumes d’upfront ont donc baissé. Mais au cours des derniers mois, l’accélération de l’érosion des ratings (audiences) et la raréfaction de l’inventaire ont fait flamber les « premiums », ce qui devrait logiquement apporter un regain d’intérêt à l’achat upfront cette année.

Seuls les annonceurs assez importants pour lancer plusieurs campagnes TV au cours de l’année, participent aux Upfronts. Néanmoins MAGNA GLOBAL estime que les « Broadcast Year Upfronts » (BYU) deals représentent 65% des recettes annuelles des broadcast networks (ABC, CBS, NBC, FOX) et 40% des recettes des cable networks (CNN, MTV, Fox News etc.). Au total, c’est environ la moitié des transactions de télévision nationale (22 milliards de dollars sur un total de 43 milliards) qui est négociée via des BYU deals. Le reste provient du marché « scatter » et une part croissante provient de « Calendar Year Upfronts » deals, négociés à l’automne et de manière moins formelle, et préférés par certains annonceurs pour coïncider avec l’année fiscale et budgétaire. La proportion des « Broadcast Season Upfronts » dans les revenus annuels des networks et donc en déclin graduel.

Graf Magna Global [1]

Le mécanisme des TV Upfronts est régulièrement dénoncé comme une relique du passé, une forme d’achat dépassée, rigide et irrationnelle, à l’heure du « real time » et du programmatique, à une époque où la communication se veut de plus en plus réactive et tactique et où les contraintes financières injectent de l’imprévisibilité dans les budgets marketing. Certains vont jusqu’à prédire leur disparition complète dans les cinq ans. Ce sont particulièrement les acheteurs qui critiquent parfois un système qui les met en position de faiblesse face au niveau d’information supérieur dont dispose les vendeurs. Il est certain que les Upfronts contribuent à maintenir une dimension humaine « à l’ancienne » dans le business de la télévision et de l’achat média.

D’autre soulignent l’importance de conserver la dimension humaine de ce rendez-vous entre les différentes parties de l’industrie, dans un business par ailleurs de plus en plus soumis au « procurement » et au « big data ». Les US sont un grand pays et certains annonceurs viennent une fois par an à New York pour rencontrer les agences et les régies ; et il est donc important de les impressionner par de nouveaux shows glamour ; les négociations entre agences et régies s’étendent sur plusieurs semaines et laissent une place non négligeable au facteur relationnel, aux talents et techniques de négociation de part et d’autre.

Au-delà de l’aspect PR et entertainment, le principe fondamental même d’achat ‘upfront’ conserve une validité économique. Il existe dans de nombreux autres secteurs où le volume de production est limité et incertain (énergie, agriculture) ; cette garantie d’approvisionnement (ou d’écoulement, dans la perspective du vendeur) conserve sa raison d’être pour toutes les parties : contrats à terme, achats « primeur » pour le vin, etc. La grande question est, pour chacun des acteurs, de déterminer l’équilibre optimal upfront/scatter, basé sur ses prévisions de demande et son aversion aux fluctuations tarifaires.

Ce sont paradoxalement les nouveaux acteurs de l’audiovisuel numérique qui rendent un hommage indirect au principe de l’upfront en organisant maintenant les « Newfronts ». Ceux-ci se déroulent début mai, juste avant les TV Upfronts, pour essayer de détourner les budgets TV vers la vidéo en ligne. Les « Newfront » sont principalement des preview shows similaires à ceux des networks, où des intervenants comme Youtube et Hulu présentent leurs productions originales, de plus en plus nombreuses et ambitieuses. Il n’existe pas de format standardisé pour les accords entre agences et vendeurs, mais des accords financiers de moyen terme sont maintenant négociés. MAGNA GLOBAL a ainsi annoncé il y deux semaines un accord historique avec Youtube, portant sur 15 mois et incluant un accès privilégié à « Google Preferred » le contenu le plus premium offert par Youtube, pour les clients des agences de Mediabrands. Par ce deal, MAGNA et Mediabrands US ont souhaité diversifier leurs sources d’approvisionnement, en raison de l’érosion constante des ratings linéaires des programmes TV, et pour se prémunir contre l’inflation des CPM en résultant. Sur la période d’octobre 2016 à décembre 2017 (15 mois), ce deal s’élève à 250 Millions de dollars, soit un montant comparable aux deals réalisés avec les cable networks, mais encore très inférieur à ceux des broadcast networks comme NBC.

Vincent Létang
@vletang_magna

logo-magna-global-cb-expert [2]

 

Vincent Létang analyse l’industrie des médias et de la publicité depuis 20 ans. Il vit à New York et dirige les études de marché globales de Magna Global, une division d’IPG Mediabrands.

 


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